1/ ORELIE-ANTOINE 1ER
2/ MOI, CONSUL GÉNÉRAL DE PATAGONIE


1/ ORELIE-ANTOINE 1ER
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L'Histoire du Royaume de Patagonie et d'Araucanie, c'est l'histoire peu ordinaire d'un homme dont les exégètes ont encore bien du mal à cerner la personnalité; illuminé, rêveur, mégalomane ou ambitieux arriviste ?

Orélie-Antoine de Tounens, huitième enfant d'une famille de fermiers, est né le 12 mai 1825 à Tourtoirac. Après avoir suivi des études de droit, il fait l'acquisition d'une charge d'avoué à Périgueux en 1851. Très tôt il nourrit l'illusion de son appartenance à la classe nobiliaire; qu'à cela ne tienne, il obtiendra de la Cour Impériale de Bordeaux le droit de faire précéder son patronyme d'une particule. Il nourrit également des ambitions que sa profession ne suffit plus à contenter. C'est sans doute la lecture du poème épique La Araucana du conquistador Alonso de Ercilla (traduit par Voltaire) qui révèlera à Tounens son royal destin. Ce poème fut écrit à la gloire des Mapuches (rebaptisés araucans par les espagnols), peuple fier et insoumis qui a repoussé les Incas au XV° siècle, réussi à contenir les assauts des envahisseurs espagnols du XVI° au XIX° siècle, avant de s'incliner face à l'armée de la nouvelle République du Chili.
Les Mapuches vivaient en clans éparses, ne se réunissant sous l'autorité d'un chef, le toqui, qu'en période de conflit. Dans l'esprit de Tounens, il ne manque à ce peuple qu'un souverain; seul contre tous, il se fera donc fort d'aller se faire élire Roi de Patagonie et d'Araucanie par ses futurs sujets.

En 1857, Tounens vend sa charge d'avoué. L'année suivante, il s'embarque pour le Chili avec un pécule de 25000 francs et débarque à Coquimbo (port de La Serena à 400 km au nord de Santiago) le 28 août 1858. Là il entreprend la rédaction de la Constitution de son futur Royaume. Ce n'est qu'en 1860 qu'il foulera la terre araucane, au moment même où l'armée chilienne est sur le point de réduire la résistance Mapuche. C'est probablement à ce moment qu'Orélie-Antoine de Tounens entre dans l'Histoire, favorisé par un concours de circonstances où le mythe vient au secours de la réalité. Ce mythe que l'on retrouve du Mexique au sud du Chili, c'est celui du retour du "sauveur", qui se présente sous les traits d'un homme blanc barbu. Au Mexique, le conquistador Hernán Cortés utilisera habilement la prophétie pour soumettre l'empire aztèque de Moctezuma. Au Chili, Tounens s'enfoncera dans la brèche que lui ouvre le cacique (chef de clan) Quillapán, qui le présente à ses frères comme le sauveur qui marchera à leur tête pour repousser l'envahisseur.

Après un discours enflammé sur les bienfaits de la monarchie, Tounens s'intronise Roi de Patagonie et d'Araucanie, avec l'assentiment du parterre Mapuche. Il signe dans la foulée le décret d'application de la Constitution. Le titre 5 de celle-ci prévoit qu'un conseil du royaume sera compose des citoyens choisis par le roi et inamovibles, sauf crimes et complots contre l'état. Ce conseil, dont les séances sont publiques, est gardien de la constitution et de l'intégrité du territoire; il est assez semblable a la cour suprême des états unis d'Amérique, mais la présence a ses cotes d'un conseil d'état et d'un corps législatif amène plus volontiers a comparer la constitution d'Orelie-Antoine 1er a celle du Second Empire. Il nomme également des ministres (fantoches pour la plupart), frappe une monnaie, choisi ses couleurs (bleu, blanc vert horizontal), proclame une devise royale (Justice et Paix), annexe les territoires compris entre le 42° sud et le Cap Horn et assomme ses sujets de promesses sur la grandeur future de leur nouveau royaume. En fait de promesses, les Mapuches attendaient surtout des armes et un chef capable de les mener à la victoire. Fort de ce premier succès, Orélie-Antoine 1er endosse alors les vestes de chef de la diplomatie, ministre de l'économie et chargé des relations publiques. De Valparaíso, il annonce son récent avènement aux organes de presse du Chili, de l'Argentine et de sa région natale. Il sollicite même le soutien de la France pour financer le développement de l'exploitation minière et agricole, ainsi que pour ouvrir une ligne de vapeurs entre Bordeaux et l'Araucanie. Ses démarches ne susciteront que des commentaires sarcastiques...

Quelques mois plus tard, Tounens regagne ses terres. Les finances royales sont exsangues, les manœuvres diplomatiques n'ont abouti à rien, mais Tounens trouve toutefois l'énergie pour rassembler ses troupes. Manifestement, il sait trouver les mots pour galvaniser ses guerriers, à tel point que les autorités chiliennes commencent à prendre ombrage des gesticulations du trublion français. Le 5 janvier 1862, Orélie-Anotine 1er est enlevé puis incarcéré à LosAngeles, capitale de la dernière province enlevée aux Mapuches. Dans un premier temps il est condamné à mort comme un simple criminel; sa peine sera commuée en emprisonnement à perpétuité pour folie. Enfermé plus de neuf mois dans son cachot, il tombera gravement malade et perdra sa chevelure de"sauveur";, mais il trouvera le temps de rédiger l'ordre de succession au trône. Sur l'intervention de Cazotte, Consul Général de France au Chili, Tounens est libéré (non sans avoir été contraint de renoncer au trône) puis rapatrié en France en octobre 1862.

En exil à Paris, le roi déchu lance une souscription nationale afin de restaurer la monarchie arauco-patagone et "d'apporter la prépondérance de la France dans cette partie de l'Amérique du sud"; l'appel restera sans écho. Une fois encore, c'est une famille de fermiers Périgourdins, sa famille, qui sera un peu malgré elle le bailleur de fonds exclusif du Royaume de Patagonie et d'Araucanie. Orélie-Antoine 1er retrouve son territoire en 1871. Après avoir traversé la steppe patagonique, été torturé et retenu prisonnier par les tehuelches (ses sujets), il est reconnu par les araucans. Mais il n'est pas sauf pour autant; les Mapuches lui rappellent qu'ils n'ont toujours pas les armes qui les aideront à lutter efficacement contre l'ennemi chilien et le menacent de mort s'il ne tient pas ses engagements. Tounens leur annonce qu'un navire de guerre français chargé d'armes et de munitions, le d'Entrecasteaux, les attend sur la côte Pacifique. Cette petite "pirouette" lui donne quelques jours de répit, au bout desquels il doit précipitamment quitter son royaume; il rentre en France via Buenos Aires en 1871. Le d'Entrecasteaux croisait bien dans les eaux araucanes, mais pour un tout autre motif que celui d'alimenter la guérilla Mapuche!

Le Roi essaiera de regagner son royaume à plusieurs reprises. En 1874, il débarque à Buenos Aires sous une fausse identité (Jean PRATT) et déguisé. Il est malgré tout reconnu par un colonel argentin qui l'avait rencontré en 1871. Après un courte période d'emprisonnement, il est renvoyé en France sur l'intervention de l'Ambassade de France à Buenos Aires. En 1876, sa dernière tentative de retour faillit lui coûter la vie. Rongé par la pauvreté et de graves problèmes de santé, il est laissé pour mort sur un trottoir de Buenos Aires; il sera recueilli puis opéré sur place avant d'être rapatrié en France, pour la dernière fois.
Affaibli physiquement, meurtrie dans l'âme, il se retire à Tourtoirac chez son neveu Jean, seul parent qui ne lui en veuille pas d'avoir ruiné la famille.

Le roi s'éteint le 17 septembre 1877. Aujourd'hui encore, sur une simple tombe d'un cimetiere du Perigord figure cette épitaphe: "Ci-gît Orelie-Antoine 1er, roi de Patagonie décède le 17 septembre 1877". Lui succèderont au trône Gustave Achille Laviarde (Achille 1er), le docteur Antoine Cros (Antoine II), sa fille et son petit fils, pétainiste emprisonné après la seconde guerre mondiale. L'actuel souverain est un certain Philippe Boiry, Prince de Patagonie et d'Araucanie...

Si l'Histoire n'a retenu que la dimension tragi-comique de l'épopée d'Orélie-Antoine de Tounens, on ne peut toutefois ignorer le courage et la formidable pugnacité d'un homme aux convictions inébranlables, faute d'être raisonnables! La Patagonie est aujourd'hui un royaume soumis au seul règne du vent. Antoine de Tounens a resurgi de l'oubli en 1971 lorsque le Président Georges Pompidou vient donner le coup d'envoi d'une campagne scientifique de la Jeanne d'Arc, en Terre de Feu. Lors du banquet servi à bord de la Jeanne, le Président lance au Pacha interloqué: "N'oubliez pas de saluer mon cousin Orélie Antoine 1er roi de Patagonie".

Jean Raspail et quelques amis qui s'identifient pleinement à l'image de l'unique souverain de Patagonie. Ils vont déposer un ultimatum à l'ancienne adresse de l'ambassade de Grande Bretagne à Paris, demandant, en 1984, aux Anglais d'évacuer les îles Falkland, ce qui ne fut bien sûr pas fait, "l'ultimatum" n'ayant sûrement pas franchi la loge de la concierge.
Par mesure de rétorsion, au nom d'Orélie Antoine, nos "conjurés" investissent l'Archipel des Minquiers dans les îles anglo- normandes. Le drapeau patagon, bleu blanc vert , est hissé au-dessus de l'Union Jack. L'archipel est aussitôt rebaptisé Patagonie Septentrionale. Dès l'exploit accompli, la presse est informée. Madame Thatcher, Premier Ministre britannique, n'apprécia pas du tout l'opération qui provoqua quelques remous dans les chancelleries. Ce coup de main sera renouvelé en 1998 et, lorsque le Consul Général de Patagonie, Jean Raspail, remit le pavillon britannique enlevé la veille de sa hampe dans l'archipel des Minquiers, au premier représentant de l'Ambassadeur, celui-ci demanda fort diplomatiquement quels étaient les projets d'avenir du Royaume de Patagonie.

2/ MOI, CONSUL GÉNÉRAL DE PATAGONIE
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C'est à l'âge de vingt-cinq ans que je suis devenu patagon, sans trop m'en rendre compte, loin d'imaginer l'importance croissante que présenterait dans ma vie, au fil des ans, cette nationalité de rechange. Jeune explorateur, dans les années cinquante, je m'étais volontairement enfoncé, plusieurs mois durant, dans les solitudes australes de la Terre de Feu, la Patagonie, le Cap Horn, le détroit de Magellan, là où se rejoignent le tout et le néant. Sur les cartes marines, en ces temps, les contours de nombreuses îles figuraient en pointillés hypothétiques. Les derniers Indiens vivants fuyaient au plus profond des fjords déserts, emportant dans leurs canots le feu enfermé dans un pot de terre. Les mâts des grands voiliers naufragés émergeaient encore de la surface de l'eau noire comme des croix de cimetière, sous le vent, la pluie, la neige qui sont les trois gorgones de cette extrémité désolée du monde. C'est là que j'ai appris à vivre : une bonne école. C'est la que j'ai appris à rêver ma vie.

D'autres écrivains "patagons" m'avaient précédé dans cette voie : Cendrars, Roger Caillois, et, avant eux, Charles Cros, le plus patagon des poètes, qui fut l'ami d'Antoine de Tounens, roi de Patagonie, et écrivit, il y a plus de cent ans : "Ma patrie est bien loin, loin de la France et de la Terre...

C'est beaucoup plus tard que je me souvins d'Antoine de Tounens, jeune avoué à Périgueux, qui s'en alla par un coup de génie et de démesure dérisoire, se faire couronner roi de Patagonie par les Indiens de ces contrées, en 1860, fut bien vite expulsé par les autorités chiliennes et argentines et revint en France, à Paris, où, se proclamant roi de Patagonie en exil, tenant une sorte de cour, publiant des manifestes signés de ministres fantômes qui n'existaient que dans son rêve, il en fit tant qu'il déchaîna, pendant de longues années, et jusqu'à sa mort, en 1878, des torrents de rires et de sarcasmes. Roi du rêve, en dépit de tout. Je tenais mon souverain. Je m'étais découvert une patrie. Le royaume imaginaire... Que souhaiter de mieux sur cette terre, en cette époque, dans ce pays ? Il y a quatre ans déjà, j'en fis un premier roman ou j'inventai, dans un vieux château breton, un successeur à ce roi. Le livre s'appelait : Le Jeu du roi. Un jeu de l'esprit, un jeu du cour et, si je n'avais pas peur de ce mot, je dirais : un jeu de l'âme. Et l'on se mit à jouer avec moi. Tant de Patagons volontaires se découvrirent cette année-là, au fil de mon courrier, que je décidai d'ouvrir chez moi, en Provence, un consulat général de Patagonie. Le drapeau bleu, blanc, vert d'Antoine de Tounens flotte à mon balcon. Je ne saurais plus m'en passer. Dans un temps dépourvu de symboles, je le considère, déployé au mistral, avec tendresse, avec ironie, avec fierté, avec mélancolie, et c'est être exactement patagon que de s'accommoder ensemble de ces quatre sentiments-là. Aujourd'hui, c'est l'histoire même d'Antoine de Tounens, roi de Patagonie, que j'ai écrite. Comme l'on sait fort peu de choses à son propos, car il vécut de rêves plus que de réalités, j'en ai fait un roman. Pour l'honneur des écrivains, ce n'est pas la première fois, dans l'histoire marginale, qu'un héros malheureux sortira plus vrai et grandi de son passage entre les mains, le cour, l'imagination et la plume d'un romancier. C'était au moins mon secret désir, cher Antoine...

Si j'en juge par mon courrier, il semble que j'y ai quelque peu réussi. Le consulat général de Patagonie est débordé par des demandes de naturalisation. Ce sont, pour la plupart, des lettres de jeunes gens. L'une des dernières reçues est celle d'un enseigne de vaisseau, officier en second d'un dragueur de mines en mission dans l'océan Indien. A considérer toutes ces lettres ou s'expriment précisément les quatre sentiments patagons que j'ai évoqué plus haut, je me demande si nous vivons dans un pays, et je parle cette fois de la France, ou il est encore possible de rêver quand on a vingt ans...