Le 07 octobre
Puerto Montt - Chaiten (en bateau, Chili)

« Ca y est, nous partons de la très sympathique maisonnette qui nous a servi de logement. L'ambiance y était familiale et chaque soir une bouteille de vin rouge posée sur la table alimentait les discussions et bouffonneries des uns et des autres. Et comme les sud américains sont des musiciens dans l'âme, ma guitare nous a permis d'assister à un mini concert intime au rythme des accords, tapotements sur la table et des onomatopées vocales. Bref 4 jours sympas qui contrastent bien avec le temps: intermittence de gros nuages, de pluie et de rares apparitions de soleil. »

« Le bateau, aussi confortable qu'un avion, zigzague entre la multitude d'îlots qui pointillent la côte chilienne d'ici à la Terre de Feu. Certains sont habités, d'autres, encore sauvages, offrent la possibilité à quiconque en ressentirait l'envie, de s'improviser Robinson Crusoé. »

Le 08 Octobre
Chaiten - Puente Ventisquero (Chili)

« Le village de Chaïten est en fait intercalé entre l'océan Pacifique et les premiers glaciers sub-antarctiques. Seul moyen Chilien d'y accéder: le bateau. En hiver, les habitants se retrouvent totalement isolés du monde. Leur apparente froideur est à la hauteur de leur gentillesse.
Malheureusement la pluie et le brouillard ont repris. Ils ne nous lâchent décidément plus! Il fait 5 degrés et s'arrêter nous glace immédiatement. Afin de pouvoir déjeuner à l'abri et au chaud, nous demandons donc l'hospitalité de quelques minutes à une maison de Puerto Cardenas. Quel réconfort lorsque, même en tenue imperméable intégrale et des sacs de poubelles aux pieds, nous sommes trempés jusqu'aux os.
Nous reprenons la route sans grande motivation si ce n'est celle de progresser dans l'espoir de rencontrer de meilleures conditions climatiques. La brume ne nous laisse qu'entrevoir le lac Yelcho. Montées et descentes se succèdent sans d'autre vision que la piste inondée. Vivement que le temps s'améliore afin que nous puissions admirer cette région réputée pour sa beauté!
Finalement nous plantons la tente sous la pluie, dînons sous la pluie, dormirons sous la pluie tout en rêvant du soleil et de sa douce chaleur... l'espoir fait vivre. »

Le 09 Octobre
Puente Ventisquero - Villa Santa Lucia (Chili)

« Il pleut toujours et le thermomètre indique 3 degrés. Plus d'1h30 seront nécessaire pour passer le col PORTEZUELO MORAGA (650m). La côte est difficile, sinueuse, sous la pluie puis la neige et enfin sous une grêle grosse comme des petits pois. Son incessant martèlement sur nos crâne finit par nous abrutir et nous miner le moral. Le passage d'un camion va fortement nous aider. Ses traces imprimées dans 10 cm de neige vont nous servir de guide et d'appui. Sans son passage salvateur, je ne sais pas comment nous aurions pu continuer à progresser. Dans la côte, nos vélos frôlent les 1.5km/h. Garder son équilibre devient un pur exercice de cirque ! Nos avant bras se crispent et parfois se tétanisent, nos cuisses nous font mal et les chaînes craquent. La mienne (Cyril) lâchera même.
Il faut réparer sous la pluie battante, avec une température de 1 degré dans une atmosphère humide. Ah la la, que j'aimerai être ailleurs! On a beau être couvert, on est glacé ; nos membres tremblent, l'eau ruisselle sur nos visages et s'infiltre par le cou.
Les alentours, notre condition… tout semble désolation. Seule possibilité pour trouver la force de continuer : faire abstraction et s'occuper l'esprit. Je pense à Mike Horn, Bombard, Djamel Bali: ces aventuriers qui ont dû traverser des moments bien plus durs que celui-là. J'essaie d'analyser la situation en cherchant des sources de semi satisfaction. Finalement cette grêle... elle est belle, son impressionnante régularité et la forme parfaite de chaque grain sont captivantes. La vision des alentours est un peu féerique, imaginaire. La texture de la brume est unique (quelle chance de pouvoir l'observer !). Et puis finalement, nous arrivons quand même à avancer: nos efforts ne sont pas vains. Après une matinée durant laquelle nous avons donné tout ce que nous avions, nous rentrons dans le micro village de Villa Santa Lucia. Patricia n'en peut plus, elle craque. Il faut s'arrêter. Rien à faire, je n'arrive pas à la motiver davantage. On stoppe.
Apres les pleurs, la chaleur d'un poêlon et l'analyse de la situation, nous décidons de zapper en bus jusqu'à Puerto Ibanez. De toutes façons, on a pas mal de retard et même si la région est une des plus belles d'Amérique du Sud, quel intérêt puisqu'on y voit rien.
Même si Patricia a craqué, elle a le mérite d'avoir tenu jusque là. Finalement seuls elle et moi savons ce que nous avons traversé. Beaucoup d'autres auraient jeté l'éponge bien avant elle... " MOI JE SUIS FIER D'ELLE." »

Le 10 Octobre
La Junta (Chili)

« Arrivés tard hier soir à La Junta, nous dormons dans le premier alojamiento "bon marché" trouvé. La patronne a l'air assez autoritaire et est peu accueillante. Patricia arrive à obtenir des pompiers le prêt d'une petite salle fourre tout. Nous y passerons une journée et demie à se reposer et lire dans l'attente du prochain bus pour Coihaïque. La pluie continue son oeuvre et a déjà inondé une bonne partie du village. Afin de réchauffer les cœurs et de goûter les spécialités chiliennes, nous nous offrons un apéritif au Pisco. »

Le 11 Octobre
La Junta – Coihaïque (Chili)

« Ce trajet en bus sous une pluie régulièrement torrentielle est malgré tout splendide.
La nature est dense. Les cascades jaillissent de partout. La vision des glaciers se mélange à celle de l'océan. La timide carretera Australe tente de se frayer un chemin à travers le panorama grandiose. Les montagnes couvertes de forets de "brocolis" plongent dans l'océan sans hésitation. Le choc est brutal et stoppe net cette végétation luxuriante. Ceci étant, le mauvais temps et la brume nous cachent une bonne partie des paysages et nous incitent à faire travailler notre imagination. Par endroit on peut apercevoir une multitude de troncs d'arbre, sans feuillage ni branche. Ils semblent être les défunts témoins des batailles incessantes entre le feu, le vent, le froid et la pluie.
La piste en piteux état longe parfois d'impressionnants précipices. Les rapides que nous dominons ou frôlons auraient bien envie de nous avaler tout cru. Espérons que les glissements de terrain soient peu fréquents dans cette zone... pas dit vu l'état de la route. L'allure apocalyptique de celle-ci me fait penser à celle qui relie La Paz à Coroïco (en Bolivie).
Que tout ceci doit être beau sous de meilleures conditions climatiques ! Il faudra vraiment que l'on revienne un mois de janvier ou février. Cette traversée de la chaîne Andine restera inoubliable. »

Le 12 Octobre
Chile Chico (Chili)

« Nous sommes enfin arrivés à Chile Chico, le village frontière avec l'Argentine. La traversée du lac Général Carrera fut assez sympa même si notre fidèle compagnon, la pluie, reste de la partie. Ce lac est le deuxième plus grand d'Amérique du Sud. Ici, du côté Est de la Cordillère tout change. Les nuages ont du mal à franchir la chaîne montagneuse et se vident sur les versants ouest des sommets enneigés.
Un policier rencontré dans le village nous propose de dormir chez lui. Il fera même lit commun avec son fils de 9 ans afin de nous laisser un lit confortable: incroyable ! Nous passerons la soirée à jouer au ping-pong avec Ariel, le fils, sur la table de la salle à manger. La joie est présente. »

Le 13 octobre
Chile Chico (Chili) - Perito Moreno (Argentine)

« Ca y est c'est reparti, cette fois-ci sans pluie mais avec du vent. Ariel nous accompagne fièrement jusqu'au poste de frontière chilien. Il semble attristé de nous voir partir et ne cesse de nous demander quand nous reviendrons... Il a du mal à comprendre que notre voyage n'est qu'itinérance. Le temps d'effectuer les tâches administratives avec les douaniers, il s'essaie sur mon vélo: un vrai Cyclotouriste.
Le vent nous aidant, nous arrivons assez vite à Perito Moreno. Le mini camping où nous allons passer la nuit est un petit paradis extravagant. Nous dormirons dans une roulotte aménagée en dortoir. Un bus déglingué a été aménagé en cantine et Raul, le gérant, est unique en son genre. Pipelette, sans éducation mais poète et attentionné comme pas deux, nous passerons avec lui une soirée inoubliable. »

Le 14 octobre
Perito Moreno - RN40 (Argentine)

« Nous donnons enfin nos premiers coups de pédale sur La Ruta Nacional 40. Cette route traverse toute l'Argentine, du Nord au Sud, avec des parties asphaltées, et d'autres de terre tassée. De PERITO MORENO (qui est à plus de 500 km du glacier du même nom) à son extrémité Sud, elle n'est qu'en terre et n'est ponctuée qu'occasionnellement d'habitations et de villages. »

« Le paysage est une vaste étendue qui se perd à l'horizon, tout azimut. De telles distances nous font ressentir notre petitesse sur cette Terre, c'en est presque déstabilisant. Après quelques heures, des couleurs apparaissent, des roches se dévoilent, des monts et vallons agrémentent le panorama, c'est plus chaleureux. Et tout ça, rien que pour nous : aucune voiture ne circule sur ce chemin. Nous sommes tous les deux, tout seuls, perdus au bout du monde. »

Le 15 octobre
RN40 - Bajo Caracoles (Argentine)

« Nous voila déjà dans le premier village, Bajo Caracoles. Pour être honnête, le vent nous a bien aidé. C'est une aubaine, car tous les échos prévoyaient le contraire. Pourvu que ça dure...
Dans l'unique "station sevice-hotel-magasin-bar-restaurant" du village, nous lions connaissance avec le patron et ses piliers de bar. Apres quelques mots, Cyril se fait offrir un verre "d'eau spéciale" de production locale. Il semble apprécier. On lui en offre un deuxième, un troisième... Euh, et moi, j'peux goûter?... »

Le 16 octobre
Bajo Caracoles - RN40 (Argentine)

« Des guanacos (lamas plus sophistiqués) croisent notre route et s'arrêtent un peu plus loin pour nous regarder passer. Ils sont roux, très fins et très élégants, mais refusent de se laisser approcher.
Plus loin, au détour d'une courbe, une horde de chevaux sauvages se prélassent aux bord du chemin. A notre approche, ils s'élancent tous ensemble dans un galop effréné, nous laissant béas devant tant de beauté et de légèreté dans le mouvement: nous naviguons entre rêve et réalité.
Encore plus loin un drôle d'animal attire notre attention. Nous n'avons pas encore trouvé son nom mais ce serait quasiment un croisement entre une tortue, un rat et un hérisson.
Il a une carapace en écailles (plus souple que celle de la tortue) qui lui arrive jusque sur le nez, à la manière d'une visière de casquette. Celle-ci est parsemée de poils longs et drus. Il possède une queue et un museau de rat et se déplace à la vitesse d'un hérisson. Nous passons un bon moment à lui courir après, en essayant de l'encercler, pour prendre des photos! »

Le 17 octobre
RN40 - Tamel Aike - RN40 (Argentine)

« Vent frais, vent du matin, vent qui souffle au sommet des grands pins. Joie du vent qui souffle, allons dans le grand vent frais, vent du matin...
C'est l'horreur, le vent souffle de plus en plus fort avec des rafales à plus de 80 km/h. Le pire est quand nous l'avons de travers car il est pernicieux, ce vent. Il attend un creux, une bosse, un passage de cailloux pour s'élancer à toute vitesse et cogner contre nos sacoches. Le résultat est inévitable, nous sommes déséquilibrés. Incapable de compenser le poids du vélo, je tombe régulièrement, mais acquière une certaine expérience au fur et à mesure : dés que possible, je lâche tout et saute du vélo avant de me retrouver parterre. Ca évite les blessures, par contre c'est fatigant et il faut l'avouer, un peu stressant. »

Le 18 octobre
RN40 (Argentine)

« Le réveil sonne. Un oeil, puis les deux.
-C'est bizarre, il y a des choses qui tombent sur la toile de tente, mais ce n'est pas de la pluie... De la NEIGE!
Moment de panique.
-Vite va voir comment est la route.
-C'est bon, il n'y a pas de neige dessus, par contre c'est plutôt boueux...
On replie tout en catastrophe, il nous faut absolument trouver un abri, le danger nous guette.
L'espoir ne dure pas 5 min. La boue est collante et il nous est impossible d'avancer avec les vélos. Après 300 m nous nous retrouvons complètement bloqués au milieu du chemin.
Inutile d'insister, nous sommes pris au piège. »
Suite de l'épisode dans l'histoire de vie

Le 19 octobre
RN40 - Estancia La Primera Argentina (Argentine)

« Le ciel est dégagé, la neige a fondu en majeure partie, la route est moins boueuse mais toujours collante.
Nous tentons un départ en fin de matinée en passant dans les champs, sur les touffes d'herbe. Nous poussons les vélos et tous les 10 tours de roues il faut nettoyer sous le garde boue et au niveau des freins. Nous progressons de 1 km en 1h30. Cyril perd courage et se résigne à attendre encore un jour en espérant que le vent sèche la boue.
Je préfère insister et aller voir au moins ce qu'il y a derrière la colline. Je prospecte, trouve un chemin plus praticable et...surprise... derrière la colline, une grande descente vers une étendue particulièrement exposée au vent. La route y est plus sèche et il est possible de rouler dessus avec les vélos.
Sauvés? On ne sait pas encore, mais l'espoir revient à toute allure et nous nous élançons aussi vite que le terrain nous le permet, pour nous rapprocher au plus du prochain village. Les conditions ne sont finalement pas mauvaises et nous arrivons juste avant la nuit dans une estancia touristique, proche de la route.
La saison n'a pas encore commencé, mais le propriétaire, arrivé depuis peu, compatit à notre aventure et nous invite gratuitement à occuper une de ses chambres et à profiter du confort de la maison.
Quel retournement de situation ! Il y a tout juste quelques heures on imaginait le pire, et maintenant nous voila au chaud dans un endroit plus qu'agréable.
L'estancia est également habitée par deux guanacos domestiqués depuis leur plus jeune âge: Anastasia et Libertador. Ils sont adorables et particulièrement affectueux. Leur laine est douce, ils cherchent les caresses et nous couvrent de bisous dans le cou. Je ne peux m'empêcher d'exploser de rire, ça fait des chatouilles!!!
Le propriétaire, blasé, nous avoue qu'après quelques temps on les trouve plutôt collants! »

Le 20 octobre
Estancia La Primera Argentina – RN40 (Argentine)

« On tarde dans cette estancia de rêve, en ayant bien conscience, qu'ici en Patagonie, la frontière entre enfer et paradis peut être très vite franchie... »

« Le vent souffle de face, de travers, nous déstabilise, mais qu'importe, on avance. On sait maintenant que cela pourrait être bien pire. Entre lièvre et tortue, notre cher La Fontaine nous a justement montré que la tortue passait aussi la ligne d'arrivée et parfois même la première... »

Le 21 octobre
RN40 (Argentine)

« La fixation du porte-bagages arrière de Cyril a cédé aujourd'hui. La mienne, c'était il y a deux jours. Arrivera-t-on jusqu'au bout ?
Avec la rage au ventre, nous arrivons à Tres Lagos en fin de journée. Nous fonçons chez le mécano local pour faire réparer nos avaries. Soudure pour Cyril, nouvelle vis pour Patricia. Il ne manque qu'un nouveau pneu et ce sera parfait.
En nous dirigeant vers le magasin central dans l'intention de se préparer un repas pantagruélique, Cyril note un problème dans son dérailleur arrière: les vitesses ne passent pas. Poussière ?...Cailloux ?...Soudure?
Nous retournons chez le mécano. Après analyse, il s'avère que la chaleur dégagée lors de la soudure, s'est transmise jusqu'au ressort du dérailleur. Celui-ci en position d'extension, n'a pas supporté le traitement et a perdu sa capacité de rétractation. Résultat: Un dérailleur foutu à 160 Km de la prochaine grande ville. LA GALERE!
Cyril peste, mais ingénieux ingénieur, en fouillant dans les tiroirs du mécano, trouve des ressorts et se met a travailler pour en fabriquer un qui serait semblable à celui d'origine. Après deux heures de boulot, le dérailleur fonctionne à nouveau.
Le mécano est sidéré et se met à lui apporter tous les vieux vélos entreposés dans son hangar pour vérifier leur fonctionnement, et éventuellement, s'il pouvait faire quelque chose...
Bouteille de vin, chocolat et gâteaux a gogo: notre repas tardif sera un concentré de nourriture qui remonte le moral... »

Le 22 octobre
RN40 - El Calafate (Argentine)

« Le vent est aujourd'hui tempête. Des rafales courent à 120 km/h, les arbres plient, la poussière vole dans les rues, d'ailleurs il n'y a pas un chat, le village est devenu fantôme.
Après renseignements, les prévisions ne sont pas meilleures pour les jours suivants. La police nous propose de nous emmener en 4*4 jusqu'à la route asphaltée. Nous acceptons avec bonheur, il ne nous restera que 30 km vers El Calafate. »

« Arrivés au croisement, nous enfourchons nos vélos. Nous avons 4 heures de jour devant nous, mais le vent souffle de face, le combat continue! Au final, 3 heures de vélo pour 30 km de plat. Bravo Cyril, t'es un champion! (moi, j'essayais tant bien que mal de me protéger derrière son imposante carrure, et encore j'avais du mal à tenir la route !) »

« A peine en ville, c'est le soulagement. On dépose le matos, et sans même prendre le temps d'une douche, on part à la recherche d'un restaurant de grillade à volonté. Ca fait trois semaines que l'on n'a pas mangé de viande ! Après deux heures le prix de notre repas est rentabilisé (pour nous, pas pour le restaurateur !). les serveurs sont presque devenus des copains et sourient à chaque fois que l'on recommande un plat...Évidemment, le soir, Cyril a mal au ventre et a les dents de fond qui baignent, mais un petit excès de temps en temps, c'est pas désagréable! »

Le 23 octobre
El Calafate (Argentine)

« Journée repos dans El Calafate. La ville est très touristique et faire du lèche-vitrines me remplit de plaisir. Nous rencontrons deux français en voyage au long cours et trois espagnols à vélo pour deux mois. Nous passons du temps dans un café à échanger sur nos aventures. »

Le 27 octobre
El Calafate - Casa Cerrito (Argentine)

« Nous voilà repartis sur cette carretera australe argentine qui nous a tant fait souffrir. Je me prépare mentalement à devoir affronter de nouveau le vent. Cela est de plus en plus dur, comme si mon adaptabilité avait des limites.
Connaissant sa puissance démoralisante, j'appréhende plus qu'avant. Ceci étant, tant qu'il n'y a pas d'ouragan, il est possible de tenir et faire face. Mon leitmotiv reste simple :
"Avancer coûte que coûte, sans s'inquiéter, ni de la vitesse, ni des déséquilibres, ni des souffrances physiques. Progresser tranquillement mais sûrement, avec humilité, souplesse, mais détermination. Faire le vide, rentrer dans ses pensées et rester confiant... toujours!" »

Le 28 octobre
Casa Cerrito - Estancia Tapi Aike (Argentine)

« Le vent... le vent... le vent... fait Chier!!! Même si c'est encore supportable, quelle injustice qu'il se soit juste arrêté durant nos 5 jours de pause. Certainement qu'il nous attendait pour reprendre. C'est tellement plus sympa de nous voir, tel de véritables ivrognes, zigzaguer, trébucher et parfois chuter! Tomber, récupérer le vélo, reprendre sa route jusqu'à la prochaine chute, telle est notre destinée du jour. Malgré tout on avance tout de même... mètre après mètre, virage après virage. La seule satisfaction que nous aillons et notre bien faible victoire face aux éléments. »

Le 29 octobre
Estancia Tapi Aike (Argentine) - Cerro Castillo (Chili)

« Ce matin le vent est endiablé. Il nous reste 44 km jusqu'à la frontière Chilienne. Y arriverons-nous?
Le vent stabilisé souffle à 60 Km/h tandis que les rafales atteignent aisément les 90 km/h. Même si mentalement je tente d'affronter sereinement, mes vitesses parfois me manquent. Une bonne rafale et me voilà immobilisé. Forcer risque de casser la chaîne, comme la veille. A touche touche, nos vélos suivent les mêmes trajectoires ou déséquilibres. Le plus pénible reste les projections de gravillons. Telles une onde de choc, on les voit débouler avec furie. Nous avons juste le temps de nous arrêter et éventuellement de nous retourner. Si le temps nous manque, elles nous fouettent le visage et le corps. L'envie de hurler vient mais il ne vaut mieux pas s'exécuter au risque d'avaler les projectiles de ce "karcher" naturel. Mine de rien, une fois l'ouragan et la douleur passés, nous nous regardons: "OK, t'es prête?". Et nous reprenons la route en silence, comme si rien ne s'était passé, ou presque car l'accumulation des souffrances fatigue! »

« Dans le poste de douane chilien, la conversation va bon train. Après les quelques échanges de présentation, un policier fier des splendeurs de sa région, s'enquiert de savoir si notre voyage va nous emmener jusqu'au "Torres del Paine". Cyril, fatigué et cherchant à écourter le dialogue, explique que, vu les prix pratiqués dans le Parc, nous avons décidé de le contourner. A ces mots, un Américain qui écoutait, oreilles grandes ouvertes, nos précédentes anecdotes, ne peut s'empêcher de réagir:
- La visite du Parc "Torres del Paine" en Patagonie chilienne est LA sortie à ne pas manquer...
Un brin provocateur, Cyril insiste :
- Sans doute, mais comme nous n'avons pas assez d'argent pour profitez de tout, nous passerons à côté!

L'Américain, gentleman, n'épilogue pas et revient 10 minutes plus tard pour nous saluer. En serrant la main de Cyril, il lui glisse alors 20 US$, montant équivalent de deux entrées au Parc: la honte... Cyril est mal à l'aise et tente de refuser, mais impossible, l'Américain est vraiment heureux de nous aider:
- Il vous faut absolument aller marcher dans le Parc...
- Bon, ben d'accord, alors!
Après son départ, nous passons un long moment à rire du burlesque de la situation. L'ambiance avec les douaniers en devient très bon enfant. L'un d'entre eux nous propose même une chambre dans son logement pour passer la nuit... après un tel épisode, on ne peut plus refuser! »

Le 30 octobre
Cerro Castillo - Puerto Natales (Chili)

« Le parcours vallonné serpente entre les champs de mines... »

« Arrivés à Puerto Natales, nous demandons l'hospitalité aux pompiers. Malheureusement nous ne serons autorisés qu'à dormir par terre, dans le bureau de garde, face à la T.V., la radio et le téléphone. Ce manque d'intimité est dur à supporter pour Patricia qui est épuisée. Par politesse, on se force d'échanger un peu. C'est ainsi que l'on apprendra que notre bonne vieille Marseillaise a été reprise par le parti Socialiste Chilien pour en faire son hymne. Pourvu que j'arrive à récupérer les paroles...
Finalement à bout de souffle, nous nous mettons dans nos duvets. Nous voir essayer de dormir, allongés par terre, à leurs pieds, n'a pas l'air de déranger les pompiers. Ils continueront à discuter dans le bureau, la T.V. à fond ...
Patricia regrette à ce moment là de ne pas avoir pris un hôtel... que dire, ils nous ont tout de même offert l'hospitalité! »

Le 31 octobre
Puerto Natales - Morro Chico (Chili)

« Il n'y a rien de particulier dans cette pampa desséchée si ce n'est la vision des premiers Lenguas. Il s'agit des seuls arbres capables de pousser dans ces régions aux climats violents. Tordus et pliés par le vent, il leur faut 150 ans pour devenir adulte. Certains d'entre eux atteignent 500 ans. Leur feuillage quasi inexistant leur donne un aspect d'arbre mort et ralenti considérablement leur pousse. Par endroit, rare sont ceux qui résistent aux furies du vent. Ayant des racines peu profondes, une tempête suffit pour les étaler tous tel un château de cartes. Quel spectacle de désolation ! Ici, le vent est bien l'empereur, le maître suprême et quiconque ose le défier le paie lourdement. »

Le 01 novembre
Morro Chico - Gobernador Philippi (estancia Aurelia del Carmen, Chili)

« Demandant au propriétaire de l'estancia un simple abri pour la nuit, nous nous voyons invités à occuper la maison des gauchos actuellement en week-end.
- Ouah! une typique cuisine avec poêle à bois, vaisselier, table et bancs massifs et même un canapé!
Nous devons avoir l'air extrêmement épuisés car JUAN, le jeune propriétaire de 29 ans, nous allume un feu et nous offre un énorme gigot pour dîner. Ne sachant pas trop comment le cuisiner, il nous le découpe, rajoute quelques pommes de terre et passe tout le temps de la cuisson à agrémenter la conversation de sujets divertissants. Occupé ensuite par ses responsabilités, il nous laisse profiter seuls du repas de fête. Alléchés par les bonnes odeurs, qui depuis 2 heures nous titillent les narines, nous n'en faisons qu'une bouchée!
(Honnêtement, on aurait aisément pu en profiter à 4 en temps normal!)
Une fois repus, nous réalisons avec objectivité l'unicité du moment: voilà plusieurs jours que l'on repousse avec difficulté la limite de nos forces et au moment où l'on s'y attend le moins, l'hospitalité et l'attention d'un homme justifie à elles seules tout le mal que l'on s'est donné. Une bien agréable récompense que l'on n’aurait pas su autant apprécier sans la mériter... »

« Son estancia compte 5000 bêtes reparties sur 5000 hectares: un animal par hectare, pas mal comme élevage extensif. Les seuls problèmes qu'il rencontre régulièrement sont les incursions des renards et pumas. Les attaques des troupeaux de moutons sont fréquentes. Le renard mange un des moutons après avoir tué une cinquantaine d'autres, juste pour le plaisir... un peu gênant tout de même! »

Le 02 novembre
Gobernador Philippi - Punta Arenas (Chili)

« A Punta Arenas, nous cherchons la 5ème compagnie de pompiers, celle-ci ayant été fondée par les premiers immigrants Français au début du siècle dernier. Cette compagnie de pompiers volontaires se différencie des autres par le poids des traditions. Ici, l'organisation, les uniformes, les grades et les ordres opérationnels, tout est similaire à une caserne Française. L'immense drapeau Français de l'entrée nous ouvre les portes de cette petite France Chilienne. Une carte de France et des agrandissements photos nous donnent l'occasion de parler du pays. La Marseillaise en version Franco-espagnole est même affichée: tout simplement incroyable!
Nous passerons une très agréable soirée, à discuter autour d'une tasse de thé. Tous les jeunes de la caserne nous entourent et participent gaiement aux échanges. »

Le 03 novembre
Punta Arenas - Porvenir - Estancia Eliana (Chili)

« Nous longeons le Detroit de Magellan et ses plages désertiques de galets blancs. Tant de conquérants ont navigués par ces eaux... ça fait tout bizarre de se dire que nous sommes dans la région de l'Antarctique Chilien en plein Pacifique sud, que nos pneus impriment leur passage sur cette mythique Terre de Feu. Bref, je me sens tout drôle! »

« Dans l'estancia Eliana qui nous accueille pour la nuit, il y a Sébastien, un petit garçon de 3 ans. Il vit et va continuer de grandir dans son cocon familial, à des centaines de kilomètres de tout pôle de modernité, sans l'influence de tout effet de société: Sera-t-il différent des autres? »

Le 04 novembre
Estancia Eliana (Chili) - San Sebastian - Estancia Sara (Argentine)

« Super! Le vent est avec nous... aurait-il perdu la tête?...
Nous filons vers l'Argentine à travers un paysage vallonné et désertique. Les autochtones sont vraiment courageux. Vivre sous de tels paysages et climats ne doit pas être évident tous les jours. »

Le 05 novembre
Estancia Sara - Rio Grande - Estancia Maria Christina (Argentine)

« Après l'invitation d'hier soir, grâce à laquelle nous avons pu nous régaler de mouton (en soupe et en ragoût), les ouvriers de l'estancia viennent nous chercher pour le petit déjeuner. Au menu, café et... mouton grillé!
Bon, là çà devient un peu plus dur, on préfère quand même le pain, beurre, confiture. »

« Ushuaia n'est plus qu'à 250 km: l'inaccessible devient à notre portée. Je ressens une énergie débordante et nous pédalons durant 7 heures pour effectuer 144 km (notre nouveau record journalier). Après Rio Grande, le paysage, un peu monotone jusqu'à présent, laisse place à des bosquets de Lenguas. Notre route croise une multitude de petites rivières et aussi étonnant que cela puisse paraître, certains endroits prennent des allures de savane. Il ne manque plus qu'un lion ou une girafe et nous voilà à faire du vélo en Afrique! »

Le 06 novembre
Estancia Maria Christina - Lago Escondido (Argentine)

« En avance de 15 jours sur notre programmation initiale, nous nous obligeons à réfréner notre dynamisme de progression pour profiter au maximum de la nature environnante. Quelle chance, dans un joli bosquet de Lenguas nous voyons deux guanacos gambader. Cyril saisit l'occasion et s'improvise reporter en Safari-photo.
Les guanacos, apeurés ou cherchant à nous effrayer, se mettent à crier: Ils utilisent leur ventre pour expulser par saccades l'air de leurs poumons. Malheureusement pour eux, leur cri ressemble à un rire humain (enfin, à quelque chose près et pas dans la gamme "distinguée"...), aussi, nous ne pouvons nous empêcher de sourire à chacune de leurs interventions!
Une partie de cache-cache s'engage alors entre eux et nous. A la recherche de la meilleure photo nous les approchons le plus discrètement possible, mais une fois découverts les guanacos n'attendent pas l'ouverture de l'œil de l'objectif pour s'échapper. En revanche très curieux, ils reviennent toujours sur leurs pas pour voir où nous en sommes...Après une heure de ce petit jeu, aussi excitant que lorsque nous étions sur les bancs de l'école, nous reprenons la route en quête de nouveaux panoramas. »

Le 07 novembre
Lago Escondido - Ushuaïa (Argentine)

« "Ah, quand nous serons à USHUAÏA..."
Combien de fois ai-je prononcé ou pensé cette phrase dans un soupir?
Or aujourd'hui, nous nous en rapprochons de manière tout à fait réel: plus que 47 km...46...45...avant de franchir les portes de la ville.
Cela me remplit de joie mais m'amène inévitablement à réaliser que c'en est fini de l'Amérique du Sud...
Petit flash back, les questions se bousculent dans ma tête: Durant les 6 mois qui viennent de s'écouler ai-je vraiment profité de tout?
Le temps n'est-il pas passé vite? trop vite?
Que me reste-t-il de cette aventure?
Et puis surtout, ai-je vraiment envie d'atteindre USHUAÏA?
Tant de questions qui occupent mon esprit jusqu'aux derniers kilomètres.
Puis la ville apparaît dans une courbe sur fond d'océan... je ne philosophe plus, un nuage nous menace de bruine, les grosses gouttes ne semblent pas loin, vivement qu'on arrive... mais où est donc le fameux panneau d'entrée pour que l'on puisse prendre LA photo souvenir, symbole de notre passage par le bout du monde?
Impossible à trouver, on poursuivra les investigations dans les prochains jours. Nous voilà maintenant dans l'avenue principale. Le rêve de pionnier s'efface, des touristes grouillent de tous les côtés, les boutiques arborent une multitudes d'objets souvenirs à l'effigie de la ville...USHUAÏA n'est qu'une ville comme les autres... »

« Et oui, il fallait bien y arriver un jour! Nous sommes enfin à USHUAÏA. J'ai du mal à réaliser que nous y sommes. Malheureusement cette journée de pluie intermittente nous cache un peu les splendeurs qui nous entourent. Ca y est, nous venons d'atteindre la première grande étape de notre voyage. Abrutis par cet accomplissement non encore conceptualisé, nous prenons une auberge dans l'espoir de se reposer enfin. »

« Depuis notre arrivée au bout du bout du monde, "j'écrase" et semble récupérer jour après jour toutes les tensions et efforts accumulés durant ce dernier mois de folie. »


Parlons chiffres...

Nbre de km parcourus depuis Quito: 7000km

 
Nbre de km parcourus en Argentine : 2871 km
Denivele positif cumule : 26585 m
Altitude moyenne: 823 m
Altitude Maxi : 3226 m
Altitude Mini : 0 m
Temperature moyenne: 17°C
Temperature Maxi: 41°C
Température Mini : 5°C

Distance moyenne parcourue par trajet : 4h42 km

Duree moyenne des parcours : 4h42
Vitesse moyenne : 75.6 km/h
Temps cumule des trajets en velo: 173h5
Nbre de kCal moyen consomme par parcours: 1812 kCal
au total : 65946 kCal